Une ruche pleine de promesses

Desrochers D

Après les bières, les cidres et les vins, les vins et spiritueux de miel québécois vont-ils se tailler une place parmi nos boissons favorites? C’est bien possible puisqu’ils sont à la fois diversifiés, créatifs, artisanaux, durables… et absolument délicieux! Plongeons dans l’histoire, le présent et les valeurs très nobles de cette industrie bourdonnante de promesses.

L’attrait pour les alcools de miel ne date pas d’hier. Leur apparition naturelle, alors que des ruches logées dans des arbres étaient balayées par la pluie, pourrait remonter à 20 000 ou même 40 000 ans. Leur fabrication par l’humain, elle, date d’environ 10 000 ans selon des fouilles réalisées dans la province du Henan, dans le nord de la Chine. Les civilisations grecques et romaines, tout comme les peuples indiens, gaulois, germaniques (dont les fameux Vikings) et slaves, en ont abondamment consommé. On leur prêtait alors des propriétés physiques, spirituelles ou magiques. Ambroisie, nectar des dieux, hydromel… Les alcools de miel ont porté une myriade de noms au fil du temps et ont marqué des cultures de tous les continents.

Vins et spiritueux de miel: un vrai phénomène

Plus près de nous, en Amérique du Nord, les alcools de miel ont été popularisés dans les premières colonies européennes et les communautés monastiques. Menacés par la démocratisation du vin et de la bière, ils ont presque disparu, jusqu’à ce que des apiculteurs relancent leur production dans les années 1980. L’engouement récent a également été stimulé par des séries à succès comme Harry Potter, Vikings et Le Trône de fer, qui ont fait croître la demande.

Aux États-Unis, les alcools de miel sont ainsi devenus un véritable phénomène. L’American Mead Makers Association a recensé une augmentation de 650% du nombre d’hydromelleries commerciales depuis 2003, et les produits qu’elles créent connaissent une croissance annuelle de l’ordre de 10%. 

«Les gens connaissent davantage les alcools de miel aux États-Unis qu’au Québec», indique le producteur Chris Minicucci, qui a été à la tête de la Miellerie St-Patrice, dans la région de Québec, avant de fonder Bee and Brew, au Texas. Selon lui, plusieurs raisons expliquent le succès américain: «une réglementation assez souple; une sélection d’une quinzaine d’alcools de miel dans chaque boutique spécialisée; et l’ampleur des fêtes médiévales, qui célèbrent les Vikings et le Moyen Âge – et les boissons populaires qui y sont associées».

Chris Minicucci ne s’en cache pas, il surfe sur cette vague traditionnelle et propose une gamme d’alcools dont les noms et le graphisme des bouteilles évoquent les Vikings et le Moyen Âge. Ainsi s’alignent parmi ses créations le Lothbrok, le Medieval Peach ainsi que le Ragnarök, un vin de miel vieilli en fûts de bourbon dont il a légué la recette au nouveau propriétaire de la Miellerie St-Patrice.

La différence québécoise

Les premiers permis de fabrication artisanale d’alcools de miel ont été délivrés au Québec en 1987. La Brasserie Saint-Antoine-Abbé a lancé le bal québécois qui a jusqu’à maintenant été moins couru qu’aux États-Unis, mais dont le modèle particulier donne des produits d’une qualité et d’une authenticité sans pareilles.

«Tous les miels utilisés pour réaliser nos vins et spiritueux proviennent de nos ruchers, placés sur nos terres, avec des abeilles qui butinent de trois à cinq kilomètres à la ronde, affirme René Bougie, propriétaire de la Miellerie King, à Kingsey Falls. Et tout est transformé sur place. On ne peut pas faire plus local que ça!»

Geraud Bonnet, de Desrochers D. | Crédit photo: Cindy Boyce

Ces méthodes artisanales et ultralocales se sont conjuguées dès le départ à une exploration du potentiel créatif du miel. «Mes beaux-parents, qui ont fondé la Ferme Apicole Desrochers D à la fin des années 1970 et obtenu le cinquième permis de fabrication d’alcool en 1987, ont développé le nuancier gustatif qu’on peut obtenir avec différents miels de saison. Ils ont aussi tranché avec la tradition des vins de miel sucrés en proposant un des premiers vins de miel secs», explique Géraud Bonnet, qui a repris le flambeau de ces pionniers avec leur fille Naline.

Aujourd’hui, leur gamme de vins de miel travaillés «à la vigneronne» et d’une grande précision comprend des produits perlants et pétillants, aromatisés ou de marc, de même que de nouveaux spritzers naturels en canette. De son côté, en l’espace de cinq ans, René Bougie a produit avec son frère pas moins de 28 vins et spiritueux de miel, entre vins tranquilles et «apirum» (un rhum à base de miel), en passant par une crème qui a remporté le prix de la meilleure crème alcoolisée au Canada lors des World Liqueur Awards, en 2023. C’est sans compter les multiples collaborations avec d’autres artisans locaux, comme une chocolatière, un créateur de mélange à fondue au fromage et un producteur de saucissons.

Ce ne sont donc ni la diversité, ni la créativité, ni la qualité qui manquent en matière d’alcools de miel au Québec. Comme l’abeille est un insecte noble qui produit un sucre naturel tout en assurant la survie de nos cultures et en préservant notre biodiversité, nous avons tout à gagner à épauler les apiculteurs et apicultrices de même que les transformatrices et transformateurs locaux. Il suffit de découvrir ces produits pour en apprécier tout le potentiel. L’invitation est lancée!